D'abord utilisée en neurochirurgie, la chirurgie assistée par ordinateur est en plein boom. Notre envoyée spéciale a suivi une intervention ORL sur une fillette de 4 ans.
"Le regard du chirurgien navigue entre les deux écrans. Ses mains continuent d'opérer. Sur le premier moniteur, le Pr Patrick Froehlich visualise les parois des fosses nasales de sa petite patiente, filmées en direct par la caméra numérique qu'il a introduite par une narine. Sur l'autre, il contrôle la position de ses instruments par rapport aux tissus environnants (os, cerveau, globes oculaires...), vus au scanner. Quatre coupes anatomiques, sur lesquelles se superposent des traits jaunes correspondant aux outils chirurgicaux, s'affichent simultanément sur la console. Grâce à ce système de guidage assisté par ordinateur, appelé neuronavigation, le chirurgien de l'hôpital Edouard-Herriot à Lyon dispose d'un maximum de repères pour un geste opératoire plus précis. Et le risque est moindre de léser les organes autour.
En moins d'une heure
Ce matin de septembre, il s'agit pour Patrick Froehlich de reperméabiliser la fosse nasale 'bouchée' d'une fillette de 4 ans. Laetitia est atteinte d'atrésie choanale, une malformation congénitale rare (une pour 6 000 naissances) qui consiste en une fermeture de la partie postérieure d'une des deux fosses nasales, ce qui empêche l'air de circuler du nez vers la gorge. Depuis sa naissance, l'enfant est parfois gênée pour respirer. Son nez est constamment encombré, et elle fait des otites à répétition. Un couteau, pour découper le tissu muqueux, puis une fraise, pour passer à travers l'os. A l'aide de mini-instruments, introduits par voie endoscopique et activés par une pédale, le chirurgien perfore la cloison bouchée et y crée un orifice de bonne taille. En moins d'une heure, Laetitia est sortie du bloc. Elle quittera l'hôpital dès le lendemain. La malformation aurait pu être corrigée plus tôt, mais les parents étaient réticents. La mère, porteuse elle aussi d'une atrésie choanale, gardait un très mauvais souvenir des suites opératoires de l'intervention, il y a de nombreuses années. 'Je ne voulais pas que ma fille en bave autant que moi. Mais quand on a entendu parler d'une nouvelle technique, moins douloureuse et moins dangereuse, ça nous a décidés', raconte-t-elle.
Patrick Froehlich confirme les progrès impressionnants dans ce domaine. 'Il y a encore dix ans, on opérait les atrésies choanales en passant à travers le palais. Il fallait ensuite laisser en place un tube entre la bouche et le nez pendant une à trois semaines. Depuis, on pénètre par les voies naturelles, sous endoscopie. C'est une chirurgie peu invasive, beaucoup plus légère.' Pour ce spécialiste, le guidage par ordinateur constitue une nouvelle révolution. 'Aussi importante que les interventions sous microscope', estime-t-il même. La caméra endoscopique permet de voir les parois de la gorge et du nez, mais pas de distinguer les organes qui sont cachés derrière. L'image, de bonne qualité, peut devenir illisible en cas d'hémorragie. Dès 1998, l'équipe lyonnaise a été l'une des premières au monde à appliquer le principe de la neuronavigation, déjà utilisé en neurochirurgie, à la chirurgie ORL de l'enfant. Les chirurgiens ont étroitement collaboré avec les ingénieurs de Brainlab, fabricant du système nommé Kolibri, pour l'adapter à ces nouvelles indications.
Une précision de l'ordre du millimètre
Depuis, Patrick Froehlich a opéré 350 enfants, pour diverses pathologies : malformations dont l'atrésie choanale, polypes des sinus (souvent au cours d'une mucoviscidose), tumeurs... Et la plupart des grands services français d'ORL (pédiatriques ou pour adultes) sont désormais équipés. 'Chez l'enfant, les contraintes de la chirurgie ORL sont maximales, justifie le Pr Froehlich. La cavité nasale est un espace minuscule, à proximité de zones sensibles comme les méninges, les orbites. On peut aussi blesser l'artère carotide, les bourgeons dentaires...' Par peur d'un geste trop agressif, l'opérateur avait tendance à limiter les résections. D'où des récidives fréquentes, pouvant nécessiter une seconde intervention. 'Avec la neuronavigation, la précision est de l'ordre du millimètre. Le geste est plus complet, avec moins de complications. Et le temps opératoire diminue d'environ 30 %', synthétise le chirurgien. A condition de maîtriser la technique, qui nécessite de six mois à un an d'apprentissage...
Assister à la préparation de l'intervention dans le bloc opératoire donne l'impression de visionner un épisode de Star Trek. Le chirurgien installe un curieux bandeau, surmonté de trois boules grises disposées en étoile, sur le front de la future opérée. Puis, muni d'une télécommande, il envoie des faisceaux de lumière infrarouge sur de multiples points du visage. Ceux-ci sont réfléchis par la peau et enregistrés par une caméra à infrarouge, postée à 2 mètres de là. 'Les boules sont des sphères réfléchissantes, sur le même principe que les bandes au milieu de la route. Elles servent de points de référence', décode Stéphane Komitau, responsable des marchés chez Brainlab. 'Le principe est de prendre des repères sur la peau, de les situer par rapport à l'étoile de référence, et de caler ce masque par rapport aux images de scanner. Le même type de calibrage est ensuite effectué avec les instruments chirurgicaux.'
Grâce à ce système complexe, le chirurgien a la sensation de savoir précisément où sont ses outils par rapport aux structures anatomiques. Impression exacte, à un détail près : le scanner a été réalisé la veille de l'intervention. Les quelque 200 coupes (tous les 0,2 millimètre) susceptibles de défiler sur l'écran ne sont pas des images en temps réel. 'Si par exemple on perfore la cloison nasale, on ne le verra pas à l'écran', traduit Patrick Froehlich. Handicap que le chirurgien doit garder en tête, mais qui s'avère finalement peu gênant en ORL. Les tissus de la face sont en effet immobiles ; contrairement aux tissus mous, et au cerveau [...]. En attendant la diffusion des techniques de neuronavigation peropératoires, qui permettront d'avoir des clichés en temps réel, la chirurgie assistée par ordinateur se développe à grande vitesse, dans plusieurs disciplines, en dépit du coût élevé de l'appareil, de 100 000 à 300 000 euros l'unité.
Reconstructions faciales
En ORL, les indications se multiplient aussi chez l'adulte pour des interventions endonasales. 'La neuronavigation commence également à être utilisée pour des opérations de l'oreille en Allemagne, annonce Stéphane Komitau. Plusieurs équipes françaises devraient bientôt s'y mettre.' Depuis deux ans, le guidage assisté par ordinateur a également trouvé une place en orthopédie, notamment pour les prothèses du genou. Et la technique pourrait se réveler utile lors de reconstructions faciales, après accident par exemple. Des recherches sont en cours dans ce domaine en Allemagne, révèle le représentant de Brainlab.
Mais ce sont les neurochirurgiens, utilisateurs de la neuronavigation depuis le début des années 90, qui en ont la plus grande expérience. 'Pour nous, c'est la routine, tous les gros plateaux techniques l'emploient régulièrement', assure Jean Régis, neurochirurgien au CHU de Marseille. Un intérêt historique, né des contraintes particulières à cette chirurgie. 'Dans le cerveau, dès qu'on touche autre chose que la lésion, cela peut être catastrophique, observe le neurochirurgien. La neuronavigation nous permet d'optimiser notre trajectoire, de nous repérer dans l'espace, comme avec un GPS. On l'utilise notamment pour la chirurgie de l'épilepsie, où il faut être très précis, ainsi que pour les tumeurs de petite taille, enfouies dans le cerveau.'"
Source :
Article de Sandrine CABUT
Libération
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