Suisse : Le robot aux bras articulés qui transforme les manipulations des chirurgiens

Alors que son fabricant installe son siège mondial sur La Côte, le robot Da Vinci TM commence à être rodé aux Hôpitaux universitaires de Genève. Après les urologues, les chirurgiens des viscères s'en emparent.


"Un chirurgien face à sa console. Ou dans son cockpit. Dans une salle d'opération des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le praticien n'a plus de contact direct avec le patient. Il se situe à un mètre, les yeux rivés à une double lunette qui lui offre une image en 3D, agrandie dix fois, elle-même intégrée à la grosse console du robot Da Vinci TM (DG.PA). Sous les binocles, des panneaux de commande et deux commandes, des joysticks en plus sophistiqué, et au pied, des pédales pour guider la caméra. Sur la table d'opération, les entrailles du patient, dont le ventre a été gonflé avec du monoxyde de carbone afin de faciliter les mouvements opératoires, sont explorées par quatre bras articulés. L'un d'eux porte la caméra, l'endoscope, doté de deux objectifs pour la 3D. Pour préparer cette imposante machinerie, il faut 'entre quinze et vingt minutes', explique Françoise Bernardi, qui s'est spécialisée dans l'usage et la formation au Da Vinci TM. On règle l'appareil, on étalonne l'endoscope, puis on amène les bras sur le ventre du patient: c'est le 'docking', comme l'amarrage d'un tanker. L'usage du robot paraît déconcertant, mais on se fait vite au maniement des commandes. Patron de la chirurgie aux HUG, lui-même spécialisé en chirurgie viscérale, Philippe Morel assure qu'il s'est rodé à ces manœuvres en vingt minutes, sur des viscères de porc."

Cinq appareils en Suisse
"Pour l'heure, quelque 650 'robots' Da Vinci TM sont installés dans le monde, dont cinq en Suisse. En terre romande, on n'en trouve qu'à Genève, aux HUG et à la Clinique Beaulieu. Il y a peu, le fabricant du système de chirurgie assistée par ordinateur Da Vinci TM, la firme californienne Intuitive Surgical Inc., annonçait l'installation de son siège mondial à Aubonne. Avec une quarantaine de postes, bientôt 50, elle regroupe là ses opérations de marketing et de vente. Aux HUG, Philippe Morel n'a aucun doute : un tel instrument représente l'avenir pour la chirurgie dite minimalement invasive. 'C'est à la fois une sécurité accrue pour le patient, et un confort pour le chirurgien. On a l'impression d'être comme un Lilliputien, on voit la région opérée comme jamais.' La quête à la réduction des incisions a connu une première étape avec la chirurgie laparoscopique, désormais qualifiée de 'standard': le médecin opère penché au-dessus du patient, mais en regardant un écran. La mobilité des mains et des poignets, pour manier les instruments, est limitée, et l'image en deux dimensions: 'On est manchot, et borgne', illustre Philippe Morel. Un début de robotisation a eu lieu avec Aesop, une machine à un bras tenant l'endoscope, commandée par la voix, qui offrait une image fixe et précise sans le risque de fatigue d'un assistant. Avec le système de chirurgie assistée par ordinateur Da Vinci TM, la conversion des praticiens au robot, ou plus exactement aux bras télécommandés, franchit un seuil. Même si l'appareil fait encore débat dans les congrès : certains dénoncent un 'miroir aux alouettes'. 'Les mêmes polémiques qu'au début des années 90, avec la chirurgie laparoscopique', balaie le chef de clinique genevois - qui figura d'abord parmi les sceptiques."

Prostate et bypasses
"Les urologues ont été les premiers à s'emparer du robot californien, surtout pour les opérations du cancer de la prostate. A présent, les spécialistes des viscères s'y mettent. La machine peut servir en particulier les opérations liées à l'obésité, comme les réductions de la poche gastrique (bypasses), ainsi que les opérations du rectum ou celles de l'hernie hiatale, entre l'estomac et l'œsophage. En somme, 'là où l'on opère dans un endroit étroit, profond et confiné', résume Philippe Morel. Les HUG ont démarré avec le système de chirurgie assistée par ordinateur Da Vinci TM en juin 2006. Plus de 200 opérations avec le robot ont été pratiquées, et désormais, il est utilisé quatre fois par semaine. Avec 36 opérations de bypasses gastriques au moyen du nouvel appareil, Genève affiche la plus grande série européenne."

Des patients cobayes ?
"Si les urologues compilent déjà une base de donnée des protocoles opératoires avec le système de chirurgie assistée par ordinateur Da Vinci TM, les praticiens des viscères en sont encore aux balbutiements. Avec leurs évaluations, les HUG ont déjà produit 21 présentations dans des congrès et glané deux prix, mais Philippe Morel reconnaît que 'pour l'heure, je ne peux pas prouver scientifiquement l'utilité du robot. Nous devons multiplier les évaluations'. Est-ce à dire que les patients d'aujourd'hui sont des cobayes ? Le praticien répond qu'avant l'intervention, ils sont informés de l'usage du robot et des conditions de l'opération. Le médecin n'a jamais enregistré de refus : 'Au contraire, les patients se passent le mot.' Le Genevois est convaincu que le système de chirurgie assistée par ordinateur Da Vinci TM ne constitue qu'une étape. Il rêve d'une chaîne intégrée, avec l'imagerie en 3D des organes du patient. Le spécialiste se ferait la main virtuellement sur l'image exacte et en relief de la zone à traiter - ce qu'il peut déjà faire -, puis chargerait ces données dans le robot, qui, en temps réel, avertirait en cas de déviation par rapport à la marche à suivre testée à l'écran: 'Le robot deviendra un assistant.' Pour Philippe Morel, outre l'arrivée du quartier général d'Intuitive Surgical Inc. et Europe, la région lémanique serait prête à mener cette nouvelle étape de la chirurgie robotisée. Avec les universités pour l'imagerie, l'EPFL et ses compétences en ingénierie, et le savoir-faire en microtechnique des firmes horlogères, le potentiel existe."

A Lausanne, une clinique entre dans l'ère de la salle d'opération entièrement connectée

La clinique de La Source s'est dotée d'un bloc opératoire où foisonnent écrans et liens aux réseaux.


"Plus branché que la chaîne hi-fi B & O des héros de Nip/Tuk : désormais, à la clinique de La Source à Lausanne, un chirurgien voulant opérer en musique peut connecter directement son iPod sur le système de la salle d'opération. Détail futile, mais qui met en lumière le foisonnement, discret au regard, de connexions qui singularise la nouvelle salle d'opération de la clinique. Une première romande.

La salle a pour nom de code OR1, et d'autres l'ont déjà plébiscitée: l'équipementier allemand Karl Storz en a livré près de 300 en Europe, 10 fois plus aux Etats-Unis. Les Hôpitaux universitaires de Genève songent à faire cette mise à jour technologique. La Source a déboursé 800000 francs pour les seuls appareils médico-électroniques, à l'occasion d'une réorganisation de ses sept salles qui coûtera au total 5 millions."

Commandes au moyen d'écrans tactiles
"'L'installation d'une deuxième OR1 est prévue pour février', indique le directeur général Michel R. Walther. Le bloc opératoire, surtout prévu pour la chirurgie endoscopique - des viscères, gynécologique ou urologique - impressionne par le nombre d'écrans présents : quatre autour du patient, dont trois sur bras mobiles, et deux en retrait de la zone stérile.

Le chirurgien ou l'infirmière de salle d'opération peuvent commander tous les appareils par écran tactile ou commande vocale, dans la zone d'opération ou plus loin. Le praticien peut télécharger les radios du patient, ou d'autres données. Les paramètres vitaux sont aussi accessibles à distance.

Les écrans, tous en HD, offrent une vision multiple des viscères du patient, obtenue par l'insertion d'une caméra au bout d'un trocart. Ces images, ainsi que celles de l'ensemble du bloc opératoire prises par deux caméras surélevées, transitent au besoin par réseau pour une téléconférence, et sont archivées en réseau ou sur DVD. Les données entrent ou sortent du bloc par des connecteurs usuels, S-Video, VGA et audio."

Emulation collective
"La convergence informatique des outils et des images offre au chirurgien un contrôle accru, juge le docteur Bijan Ghavami: 'On gagne en précision ainsi qu'en sécurité, et cette technologie permet de réduire encore le caractère invasif de l'endoscopie.' Présent à l'inauguration du bloc à Lausanne, le Genevois Philippe Morel (lire ci-dessus) estime que cette omniprésence de l'informatique, doublée d'une grande connectivité, aura deux conséquences majeures. D'abord, par le biais de la visioconférence, elle renforce le 'compagnonnage', en principe au cœur du métier de chirurgien : 'On a longtemps cru que les nouvelles technologies augmenteraient l'apprentissage individuel. Avec l'opération visible en direct, c'est le contraire. Les chirurgiens ouverts d'esprit peuvent réclamer l'avis d'un collègue en temps réel, et à distance.'

Mais aussi, le fait de filmer les opérations, et les voir ailleurs, va vite poser la question sensible du contrôle du travail des praticiens: 'Actuellement, le chirurgien fait ce qu'il veut. Avec la visioconférence, c'est aussi un regard extérieur qui entre dans le bloc opératoire'."

Source :
http://www.letemps.ch
Articles de Nicolas Dufour
Copyright Le Temps, 2007

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