(article du 11/06/2007)
"Sur la table d'opération, une jeune femme souffrant d'une crise d'appendicite. Lumière tamisée, ambiance feutrée, musique en sourdine peut-être. Pas de scalpel en vue, mais un long tube flexible glissé dans l'oesophage de la patiente. Pas de médecin non plus, mais un robot sans tête aux bras articulés. La machine s'active en silence, rapide, précise. En quelques dizaines de minutes, l'appendice est extrait de la cavité abdominale. Pendant toute la durée de l'intervention, le chirurgien est resté à l'extérieur du bloc opératoire, bras croisés, se contentant de veiller au grain, l'oeil rivé sur un écran."
"Voilà comment, dans dix ans, moins peut-être, se dérouleront bon nombre d'actes chirurgicaux. Sans incision - donc sans cicatrice - et sans chirurgien, ou presque. Une double révolution, faisant mentir Alfred Velpeau (inventeur de la bande du même nom), qui, en 1839, prophétisait : 'Scalpel et douleur sont des mots indissociables qui resteront toujours dans la mémoire du patient opéré.'
La chirurgie sans ouverture n'en est encore qu'à ses balbutiements. Voilà quelques semaines, le professeur Jacques Marescaux, chef du service de chirurgie digestive et endocrinienne des Hôpitaux de Strasbourg, a réussi la première cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire) sans perforation de la paroi abdominale. Une prouesse réalisée à l'aide d'un endoscope doté d'une caméra et d'instruments lilliputiens, introduit par le vagin dans le ventre de la malade (Le Monde du 27 avril).
Quelques jours plus tôt, une équipe américaine de la Columbia University de New York avait procédé à la même intervention par voie transvaginale et transabdominale, mais avec le secours de techniques classiques. En Inde, l'Asian Institute of Gastroenterology d'Hyderabad a mené à bien une extraction de l'appendice par voie transgastrique, avec le renfort, là encore, de méthodes conventionnelles. D'autres praticiens sont sur les rangs, en Angleterre, au Portugal et, aux Etats-Unis, à Boston, Portland ou Houston.
'La chirurgie amorce sa deuxième mue', s'enthousiasme Jacques Marescaux. La première a été l'apparition, à la fin des années 1980, de la chirurgie laparoscopique, ou mini-invasive. Rompant avec l'époque où le talent du clinicien se mesurait à la taille de ses coups de bistouri, elle consiste à ne pratiquer que de courtes incisions, ne dépassant pas 10 mm, dans le corps du patient, opéré avec des instruments miniaturisés. Cette technique est aujourd'hui très couramment utilisée sur l'appareil digestif, en gynécologie et en urologie.
Une nouvelle étape est franchie avec la chirurgie sans trou, ou 'transluminale', empruntant les orifices et les voies naturelles de l'organisme : bouche, vagin, anus, urètre. Avantages : une cicatrisation beaucoup plus rapide - dix fois moins de temps pour l'estomac que pour la peau -, des douleurs postopératoires et des risques de complication réduits, un accès facilité à certains organes, en particulier chez les sujets obèses. Enfin, ou surtout si l'on fait primer l'esthétique, l'absence de cicatrice apparente.
Dans un premier temps, cette chirurgie invisible devrait s'appliquer à des affections légères : calculs, appendicite, reflux gastro-oesophagien, tumeurs bénignes du foie, de la glande surrénale ou autres viscères. Avant de s'attaquer à des pathologies plus sérieuses. Notamment à certains cancers, pour lesquels elle pourrait limiter les déficits immunitaires consécutifs au stress opératoire.
Les robots-chirurgiens, eux, ont déjà fait la preuve de leur dextérité. Voilà une petite dizaine d'années que les premiers sont entrés dans les salles blanches, et on en compte aujourd'hui plusieurs centaines de par le monde, dont plus de la moitié aux Etats-Unis. Télécommandés par un praticien installé devant un pupitre, leurs bras articulés - dont deux actionnent pince et ciseau, tandis que le troisième est prolongé d'une caméra - rendent le geste humain plus sûr et plus précis. Un logiciel supprime en effet les tremblements de la main, tout en affinant ses mouvements. Mais si ces robots sont rodés à la chirurgie mini-invasive, ils ont encore tout à apprendre du maniement de l'endoscope flexible et des longs instruments (1,5 m) requis par la chirurgie sans incision. Des outils plus maniables et des logiciels spécialisés seront nécessaires, pour marier les atouts de cette dernière et ceux de la robotisation.
Déjà se profile un nouveau bouleversement : l'assistance de la réalité virtuelle. L'idée est de construire, à partir d'images du patient obtenues par scanner ou IRM (imagerie par résonance magnétique), une copie tridimensionnelle de l'organe ou de la partie du corps à opérer, sur laquelle apparaîtront, en couleurs, les positions des veines, des artères, des masses graisseuses, des tumeurs éventuelles... Il deviendra ainsi possible de simuler l'intervention, de la répéter à l'avance, pour déterminer le geste chirurgical parfait. Mieux encore, la superposition des images virtuelle et réelle au cours de l'opération - la réalité augmentée - permettra de procéder, à chaque instant, aux ajustements nécessaires.
Jacques Marescaux en est convaincu : un jour, le chirurgien deviendra 'un metteur en scène' qui planifiera les séquences de l'opération... mais les fera exécuter par un programme informatique. 'C'est une évolution inéluctable. La précision exceptionnelle des robots, alliée à des techniques d'imagerie de plus en plus performantes, va conduire à un transfert de compétences pour le chirurgien', pense également René Amalberti, directeur adjoint de l'Institut de médecine aérospatiale du Service de santé des armées, chargé d'une mission sur la sécurité du patient à la Haute Autorité de santé. 'Toutefois, ajoute-t-il, le zéro défaut n'existe pas davantage pour les robots que pour les humains. Cette évolution doit être maîtrisée.'
Reste - le point est crucial - à connaître la réaction des patients. La pénétration d'instruments chirurgicaux dans le vagin ou l'urètre n'est-elle pas plus traumatisante que quelques cicatrices disgracieuses ? Une enquête menée par une société savante américaine indique que les futurs opérés, dès lors qu'ils sont correctement informés, plébiscitent à 80 pour cent la chirurgie sans incision. Accepteront-ils aussi, sans états d'âme, de confier leur corps à une machine, par définition dénuée de conscience ? 'Le chirurgien sera toujours présent, pour préparer l'opération mais aussi pour reprendre la main en cas de pépin', répond M. Marescaux. Au-delà des prouesses techniques annoncées, la question devient alors philosophique."
CHRONOLOGIE
"PRÉHISTOIRE :
des squelettes fossiles témoignent de pratiques chirurgicales (craniotomies) peut-être rituelles.
ANTIQUITÉ :
les techniques chirurgicales (craniotomies, ablations de tumeurs superficielles) se développent dans plusieurs civilisations. En Grèce, Hippocrate fonde une école médico-chirugicale.
MOYEN AGE :
des écoles chirurgicales naissent en Europe, dès le IXe siècle en Italie et au XIIe siècle à Montpellier.
EPOQUE MODERNE :
des innovations apparaissent sur les champs de bataille, comme la ligature des vaisseaux, mise au point par Ambroise Paré.
PÉRIODE CONTEMPORAINE :
apparition de l'anesthésie (expérimentée aux Etats-Unis vers 1840) et de l'asepsie.
1987 :
première ablation, par le Français Philippe Mouret, de la vésicule biliaire par voie laparoscopique, ou mini-invasive, technique aujourd'hui utilisée dans plus de 80 pour cent des interventions.
1998 :
les premiers robots chirurgiens entrent dans les blocs opératoires.
2001 :
Jacques Marescaux réalise, depuis New York, la première opération transatlantique robotisée, sur une patiente hospitalisée à Strasbourg.
2007 :
l'équipe de Jacques Marescaux procède à la première cholécystectomie par voie transvaginale.
Par Le Monde"
Source :
http://www.algerie-dz.com