L'INCA au centre de la tourmente...

Le député socialiste de Haute-Garonne Gérard Bapt, rapporteur du budget santé à l'Assemblée nationale, disait le 23 mars 2006 : "Ce qui est sûr, c'est que l'existence de l'Inca dérange". Dérange qui ? D'autres associations concurrentes comme l'ARC par exemple, qui va lancer une campagne de communication dans quelques jours, afin de lever des fonds ?...

La gestion du directeur de l'Institut national du cancer, ami de Chirac, objet de critiques. Mauvais diagnostic pour les trois ans du plan cancer.


"On aurait pu imaginer anniversaire plus serein. Aujourd'hui, Jacques Chirac devait célébrer les trois ans, jour pour jour, du plan Cancer, l'un des trois grands chantiers présidentiels avec la sécurité routière et les handicapés. Au passage, le chef de l'Etat devait se féliciter de la plus belle de ses réalisations, à savoir la création de l'Inca, l'Institut national du cancer. Il n'en sera rien. Silence radio à l'Elysée. Et pour cause... Depuis quelques semaines une polémique d'une rare violence a éclaté, révélée par le Figaro du 3 mars. Elle est largement centrée sur la gestion du président de l'Inca, le professeur David Khayat. Communiqués assassins, lettres anonymes, plainte pour diffamation, et, hier matin, visite surprise d'un député socialiste pour analyser les comptes de l'institut. On savait le milieu de la cancérologie divisé, on ne le soupçonnait pas chargé de tant de haines. 'Des lettres anonymes ? M'accuser d'arriver à un colloque en hélicoptère... Pire que pendant la guerre', lâche David Khayat, désabusé mais combatif. 'Il y a une crise réelle de management', rétorque l'ancien sénateur centriste Claude Hurriet, qui préside à la fois la cancéropole Ile-de-France et l'Institut Curie. 'Qu'il démissionne ? Ce n'est pas à moi de décider, ajoute-t-il, mais l'analyse de la situation m'amène à me demander si c'est l'homme qu'il faut'. Le professeur Dominique Maraninchi, président du conseil scientifique de l'Inca, tempère : 'Il y a toute une série de gens et de structures qui ont intérêt à ce qu'il ne se passe rien dans le monde du cancer, chacun continuant à faire sa petite tambouille dans sa marmite'. S'agirait-il alors d'une simple crise de croissance ? 'J'ai toujours dit que je lancerais l'Inca, et qu'au bout d'un an ou un an et demi je partirais', insiste David Khayat, comme preuve de sa bonne foi. Il est en place depuis neuf mois, juste le temps d'une gestation.

Trop mondain, trop actif. Véritable tour de contrôle et navire amiral de la lutte contre le cancer en France, l'institut doit non seulement coordonner la recherche, mais aussi impulser des politiques de prévention et développer l'information le plus largement accessible. A ses côtés, au niveau de chaque région, sept cancéropoles ont été créées pour faire travailler au plus près les différents acteurs, publics et privés, en particulier dans le monde la recherche. 'L'enjeu est énorme, il y va de la vie de plusieurs centaines de milliers de gens', expliquait alors David Khayat.

Mais l'homme agace. Trop habile, trop politique, trop mondain, et sûrement aussi trop actif, David Khayat a toujours été un cancérologue à part. Brillant (il a été le plus jeune chef de service), ce proche de Jacques Chirac a beaucoup oeuvré pour se faire nommer à la tête de l'Inca. Et quand il a débarqué dans cet institut qu'il devait créer de toutes pièces, il n'a pas lésiné. Il a pris le pouvoir, viré le nouveau directeur, marginalisé le professeur Dominique Maraninchi, tout juste nommé à la tête du conseil scientifique. Et en quelques mois, l'Inca s'est imposé, passant de 15 à 185 salariés. 'Qu'est-ce qu'on peut lui reprocher ? s'interroge Dominique Maraninchi, qui, lui, reste solidaire. Sa vitalité a permis de lancer la machine. Il y a sûrement eu des erreurs, mais, grâce à l'Inca, il y a des résultats concrets. Un exemple : l'aseptine est un tout nouveau traitement du cancer du sein, augmentant fortement la survie. Grâce à l'institut, aujourd'hui toutes les femmes en France l'ont.' Dans le même état esprit, le professeur Henri Pujol, président de la Ligue nationale contre le cancer, ajoute : 'Nous nous sommes battus pour qu'il y ait une consultation spéciale pour l'annonce du diagnostic. C'est maintenant le cas. Tant mieux.'

Bras armés. Certes, mais ce n'est pas ce qui est reproché au patron de l'Inca. Les critiques sont de deux natures. 'Il s'agit d'abord du lien entre l'Inca et les cancéropoles, explique Claude Hurriet. Pour que l'ensemble du dispositif fonctionne, chacun doit être à sa place. Les cancéropoles ne sont pas le bras armé de l'Inca dans les régions. Or, aujourd'hui, il n'y a aucun dialogue.' Comme les responsables des autres cancéropoles, il met en avant le très problématique accord-cadre que voudrait leur faire signer l'Inca, 'un accord qui met en cause la liberté du chercheur et ses droits de brevets ou de propriété intellectuelle'. 'C'est pour nous inacceptable', lâche un responsable de cancéropole. 'L'Inca n'embauchera jamais de chercheurs, elle n'aura jamais à voir avec la valorisation de la recherche', se défend David Khayat. Pour l'heure, en tout cas, seul l'Inserm a signé cet accord, le CNRS tarde, et certaines cancéropoles en réclament un autre.

La seconde salve de critiques demeure anonyme et personnalisée. Ce sont des mails, signés d'une certaine 'Noëlle' ­ qui se présente comme une salariée de l'Inca ­, qui stigmatisent le train de vie de David Khayat. Ils dénoncent 'la construction d'un nouveau bureau', 'des frais de restaurant de plus d'un million d'euros budgétés pour 2006', mais aussi l'embauche de salariés proches de la direction. 'C'est faux et ignoble, une plainte a été déposée', répond David Khayat. Il se voit contraint de se défendre : 'Depuis que je suis à la présidence de l'Inca, mon seul salaire est celui de professeur de cancérologie. Comme tout médecin hospitalier, j'ai droit à deux demi-journées que j'occupe avec une clientèle privée et avec une fonction de consultant au Crédit lyonnais. Pour le reste, je n'ai plus aucune fonction dans aucun laboratoire'.

L'homme est cependant atteint. Hier matin, le député socialiste de Haute-Garonne Gérard Bapt, rapporteur du budget santé à l'Assemblée nationale, est même venu dans les locaux de l'Inca faire un contrôle surprise. Et il en est ressorti plutôt perplexe : 'Les attaques personnelles ne me semblent pas vraiment fondées.' Il ajoutait même : 'Ce qui est sûr, c'est que l'existence de l'Inca dérange'."

Source :
Libération.fr
Article d'Eric FAVEREAU

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