Les trois ans du plan cancer (France) : reportage du "Monde"

A l'occasion des trois ans du plan cancer, le Monde fera paraître dans son édition de demain un portrait du professeur David Khayat, qui dirige l'INCa et qui a coordonné ce plan de lutte contre le cancer - celle-ci constituant une priorité du quinquennat de Jacques Chirac.


Portrait : David Khayat, Monsieur cancer

Par Sandrine Blanchard


"Son agenda est surchargé. Alors, plutôt qu'une rencontre à heure précise, David Khayat accepte d'être suivi tout au long d'une de ses journées marathons. Ce lundi d'avril, les réunions se succèdent dans son bureau, à l'Institut national du cancer (INCa), qu'il dirige depuis sa création, en mai 2005. Il parle vite, questionne, commente, tranche."

"L'après-midi, il enfile sa blouse blanche et part se 'ressourcer' dans son service de cancérologie, à l'hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière, où il enchaîne les consultations jusqu'au soir. Il a gardé deux demi-journées par semaine une activité hospitalière pour ne pas s'éloigner de sa vocation première, le soin. 'Assurer deux fonctions, ce n'est pas facile. C'est la première et la dernière fois, assure-t-il, je n'ai plus de vie à côté.' La polémique que vient de vivre l'INCa et la mise en cause de sa gestion de l'Institut ? Il balaie le sujet d'un revers de la main. Jure que 'les enjeux de pouvoir' ne l'intéressent pas. Reconnaît uniquement qu'il 'n'a peut-être pas suffisamment communiqué avec certaines personnes'. Accusé d'hégémonie par certains responsables de canceropoles, visé par une lettre anonyme évoquant des malversations financières qui n'ont, jusqu'à ce jour, pas été prouvées, David Khayat a tangué mais n'est pas tombé. Plus d'une centaine de professeurs d'oncologie médicale, outrés par les attaques parues dans la presse, étaient prêts à publier une lettre de soutien. Le cancérologue a refusé qu'elle soit rendue publique afin de 'ne pas transformer en événement un non-événement'. Soit. Mais cette polémique - durant laquelle il s'est entendu qualifier de 'cancérologue à l'huile d'olive', allusion à ses origines de juif tunisien - l'a meurtri, profondément, lui qui n'avait jusqu'à présent connu que le succès.

A 50 ans, ce professeur réputé de cancérologie a eu un parcours fulgurant. Plus jeune chef de service de France, fondateur du Sommet mondial contre le cancer - 'le summum de mon combat' -, professeur au Cancer Center de Houston, au Texas, il multiplie les titres et les distinctions. Dans son bureau de La Salpêtrière, il a, comme ses confrères américains, encadré et affiché tous ses diplômes mais aussi trois tableaux que César, soigné dans son service, lui a offerts avant de mourir.

David Khayat est déconcertant lorsqu'il énumère les trois épisodes fondateurs de sa vie. 'A 8 ans, j'ai décidé d'être médecin', dit-il. Atteint durant son jeune âge de rhumatisme articulaire aigu, il 's'émerveillait' de constater à quel point la visite du médecin rassurait ses parents, dans le petit appartement niçois de cette famille de rapatriés. 'A 13 ans, j'ai trouvé la femme que je voulais épouser.' Il s'est marié quelques années plus tard et ne l'a jamais quittée. 'A 19 ans, j'ai su que je serais cancérologue.' La femme de son meilleur ami était atteinte d'un cancer et il voulait 'comprendre cette maladie'. 'J'ai réglé les grands problèmes de ma vie très tôt', s'amuse-t-il. Une vie dont il se dit 'heureux'. Même son seul 'regret', celui de n'avoir pas assez vu ses trois filles grandir, ne lui pèse pas trop : 'Elles m'ont dit que ce n'était pas grave parce que je faisais un métier formidable.'

Il connaît beaucoup de monde, David Khayat, et du 'beau monde'. La moitié du gouvernement - Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin -, mais aussi Luc Ferry ou Jack Lang. Normal, quand on est un ponte de la cancérologie à Paris. Ils sont nombreux, ces VIP, à se tourner vers lui lorsqu'un ami ou un proche plonge dans cette 'monstrueuse' maladie.

On le dit 'proche' de Jacques Chirac. Il l'a vu pour la première fois en 2000, lors de la signature de la Charte de Paris contre le cancer. Un an plus tard, le président de la République l'a convié à dîner. 'Il voulait tout savoir sur le cancer, comment cette maladie fonctionnait et il m'a dit : Si je le peux, un jour, je ferai une mobilisation nationale', se rappelle-t-il. C'est ainsi qu'après l'annonce présidentielle, le 14 juillet 2002, d'un grand chantier en faveur de la lutte contre le cancer, David Khayat a été appelé par l'Elysée.

Cet après-midi d'avril, dans ses consultations, ce ne sont pas des gens connus qui défilent mais des hommes et des femmes de toutes conditions et de tous âges venus parfois pour un deuxième avis ou en désespoir de cause, en espérant se voir proposer un énième traitement qui prolongera la vie. La notoriété attire souvent les cas les plus difficiles. 'Ce qui est impressionnant, c'est leur nombre, leur angoisse, leur âge, leur envie de vivre', dit-il en remontant souffler dans son bureau entre deux rendez-vous. Etre spectateur de ces consultations, c'est être forcément ému - par la souffrance et l'inquiétude des patients - et forcément impressionné - par la qualité d'écoute et l'humanité de ce médecin.

En moins d'un an à la tête de l'INCa, David Khayat a bousculé la cancérologie, lancé l'accréditation des établissements. Et ne s'est pas fait que des amis. Son action dérange, mais chacun s'accorde à reconnaître que la lutte contre le cancer avance. Il a, avec lui, la jeune génération des cancérologues, les quadras à qui il a offert une place de choix pour superviser la recherche, cancer par cancer. 'L'INCa est un cadeau superbe, la force de Khayat a été de convaincre Chirac et le gouvernement de doter la lutte contre le cancer d'un réel budget', se félicite le professeur Xavier Pivot, cancérologue au CHU de Besançon. 'Brillant, intelligent, moteur d'idées', estime le professeur Olivier Rixe qui le seconde dans son service de La Salpêtrière, mais aujourd'hui 'jalousé', résument plusieurs de ses confrères.

'Peut-être ces joutes sont-elles une préparation à sa succession', suggère le professeur Pivot. Car David Khayat ne fera pas carrière à l'INCa. Il l'a dit dès son premier discours et jure de tenir parole. 'Ma vie est ailleurs, c'est la liberté de soigner', résume-t-il. Sa plus grande fierté aura été d'obtenir il y a quelques mois un protocole temporaire de traitement pour une forme grave de cancer du sein. 'Avec l'Herceptine, on a sauvé 4 000 femmes.' Dans quelques mois, il quittera la gestion de l'Institut et retournera à ses malades, à l'écriture, sa 'psychanalyse', et à la gastronomie, son péché mignon. L'un de ses meilleurs amis, le grand cuisinier Guy Savoy, ne tarit pas d'éloges sur cet homme 'plein d'humanité'. "Ce n'est pas un cancérologue lugubre, il aime la vie."

Parcours


"1956
Naissance à Sfax (Tunisie).

1960
Arrive avec sa famille en France.

1985
Doctorat d'Etat en médecine.

1990
Nommé chef du service d'oncologie médicale de La Pitié-Salpêtrière.

2000
Initiateur de la Charte de Paris et du Sommet mondial contre le cancer.

2005
Nommé président de l'Institut national du cancer (INCA)."


Source :
© www.leMonde.fr

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