Cancer : vers une approche multidisciplinaire et une chirurgie moins invasive.

Cancer : de la chirurgie exclusive et maximaliste vers une approche pluridisciplinaire et moins invasive :

Je cite un extrait du livre de David Khayat, "Les Chemins de l'Espoir", Editions Odile Jacob, avril 2005. [pages 127-129]
David Khayat est professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie.
Il est chef de service de cancérologie à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Conseiller permanent de la Mission interministérielle pour la lutte contre le cancer, il est l'un des responsables de la mise en oeuvre de l'un des grands chantiers présidentiels du quinquennat


"En 1985, deux grandes études, l'une américaine dirigée par Bernard Fisher et l'autre européenne, dirigée par Umberto Veronesi, démontrèrent finalement que la simple ablation de la tumeur suivie d'une irradiation au sein donnait la même chance de guérison que la mastectomie totale.


Sous réserve que la tumeur soit assez petite (moins de 3 cm de diamètre) pour que cette chirurgie limitée ne détruise pas totalement l'esthétique du sein, on allait pouvoir éviter la mastectomie totale. Quelle révolution !
Rappelez-vous que, jusqu'à cette époque, que vous ayez une petite tumeur de 1 cm ou une énorme masse de 15 cm, la sanction était la même : la mastectomie ! Pour la première fois, on allait pouvoir dire aux femmes que, si le diagnostic était assez précoce, alors que la tumeur n'avait pas encore trop grossi, elles allaient pouvoir sauver leur sein. Elles allaient pouvoir ne plus subir cette mutilation qui, un peu plus encore, les excluait de la vie, avant, éventuellement, que le cancer ne la leur enlève.
Car cette réduction de l'étendue de l'acte chirurgical ne diminuait en rien, mais n'augmentait pas non plus, la probabilité de guérir de ces femmes. Elle aidait seulement à respecter leur corps, leur féminité, leur humanité.D'un autre côté, cela signifiait aussi que le chirurgien n'était plus seul à traiter le cancer. Il s'associait à un autre praticien, en l'occurence un radiothérapeute, préfigurant ainsi ce que sera, vers la fin des années 1980, ce que l'on appellera l'approche pluridisciplinaire, où tout un groupe de médecins, aux compétences différentes mais complémentaires, s'associaient pour proposer à chaque malade le traitement le plus adapté.
A partir du moment où le dogme de la chirurgie exclusive et maximaliste était ébranlé, plusieurs évolutions dans la pratique médicale devinrent possibles.
Pour suivre l'exemple du cancer du sein, mais c'est tout aussi vrai pour de nombreux autres types de tumeurs, une question vint alors rapidement à l'esprit d'un certain nombre de cancérologues : pour les tumeurs un peu trop grosses au départ, ne peut-on en réduire le volume afin de proposer là aussi une chirurgie conservatrice du sein, une exérèse d'une partie du sein suivie de radiothérapie, come dans le cas des petites lésions ?
En cette fin des années 80, c'est l'expérience que l'on va tenter avec la chimiothérapie. Le principe était simple : commençons la séquence thérapeutique par quelques séances de chimiothérapie. Si la tumeur régresse, si elle répond bien au traitement, elle va devenir assez petite pour qu'on puisse la confier au chirurgien pour une opération limitée avant que le radiothérapeute finisse le travail. Cette démarche s'appelle chimiothérapie première ou chimiothérapie "néoadjuvante". Elle fait des miracles, car sans elle l'organe atteint serait condamné à être enlevé avec la tumeur.
De plus, on verra [...] que dans certains cancers, elle permet d'augmenter le taux de guérison.
Le taux de conservation du sein, avec une esthétique au final tout à fait correcte, est passé de 30-35 à 60-80% et celui de la conservation du larynx dans les cancers ORL de 20 à 60-70% ! Dans les cancers des os et des membres, ce chiffre est là aussi monté de 10 à 85% !
On le voit, autrefois, le chirurgien était seul ; désormais prime l'approche pluridisciplinaire. En associant les compétences de chacun, on devenait plus fort !
Si cette démarche est aujourd'hui parfaitement banale, peu de gens pourront imaginer combien il fut difficile de convaincre certains chirurgiens que l'on pouvait, sans danger pour les malades, reculer la date de la chirurgie de quelques semaines ou quelques mois en attendant que la chimiothérapie fasse son effet !
Deuxième conséquence de la remise en cause du modèle halstédien : dans la mesure où les ganglions régionnaux, ceux de l'aisselle par exemple dans le cancer du sein, n'étaient plus responsables de la dissémination du cancer, mais qu'ils n'apportaient qu'une simple mais indiscutable précieuse information sur l'agressivité du cancer, on pouvait se contenter de n'en retirer qu'un nombre très limité, une petite dizaine au lieu des trente à cinquante que l'on allait chercher avant, au risque de provoquer un gros bras. Finis les grands évidements axillaires, place aux minicurages.
Jusqu'à ce qu'on en vienne d'ailleurs à ne plus retirer aujourd'hui, dans un certain nombre de cas, que le premier ganglion placé sur le chemin de la dissémination lymphatique du cancer, que l'on appelle le ganglion "sentinelle". S'il n'est pas envahi, c'est que la tumeur n'a pas pu gagner ceux qui sont placés plus loin sur la chaîne ganglionnaire. inutile d'aller en enlever d'autres !
Comme on le voit, l'histoire de la chirurgie du cancer, si elle a traversé une phase d'exagération, portée par un fantasme de toute-puissance et par son isolement, évolue aujourd'hui vers l'idée d'un plus grand respect de l'esthétique, de la fonctionnalité et de l'intégrité physique et psychique des malades, forte de l'appui que viennent lui apporter les autres armes anticancéreuses."

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