Les robots débarquent à l'hôpital

Dans mon Blog Chirurgie robotique, à la rubrique : "Quelles spécialités ?", je vous ai parlé de la difficulté à opérer avec le système de chirurgie robotique da Vinci™ pour les pontages à coeur battant (donc en chirurgie cardiaque endoscopique mini invasive) : les chirurgiens usagers sont d'avis que l'utilisation du système requiert un entraînement poussé et une courbe d'apprentissage assez importante. D'où le fait qu'il existe de meilleures chances de développer les possibilités de ce système de chirurgie assistée par ordinateur dans le contexte d'une utilisation multi-disciplinaire (chirurgie digestive - ou générale-, cardiaque, vasculaire, pédiatrique, urologique).

Le "robot" challenge l'homme !

L'article qui suit explicite les difficultés rencontrées concernant l'utilisation du système de chirurgie assistée par ordinateur da Vinci™ en chirurgie cardiaque, pour les pontages à coeur battant (pontages simple et double vaisseaux).
Le Professeur Daniel Loisance, Chef du service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil), s'est fait le porte-parole de ces "challenges" :



"Le monde médical commence à s'équiper de machines ultra-perfectionnées capables de procéder à des actes de chirurgie ou à des diagnostics. Mais les «médecins-robots», encore souvent au stade de l'expérimentation, ne sont pas près de remplacer l'homme, en particulier pour les interventions les plus pointues


Ses formes longilignes, remarquées dans Meurs un autre jour, le dernier James Bond, lui ont apporté une renommée internationale. Souvenez-vous des premières scènes du film: une course-poursuite en aéroglisseur sur un tapis de mines nord-coréen qui s'achève par la capture du plus célèbre agent secret au service de Sa Majesté. Torturé, humilié, avec une barbe de six mois «à la Saddam Hussein», il recouvre la liberté après avoir été échangé sur un pont comme un vulgaire prisonnier. Mais s'agit-il vraiment de 007? Pour s'en assurer, les scientifiques britanniques font alors intervenir un étrange robot à trois bras, qui scanne le corps de Bond et effectue sur lui un prélèvement sanguin. Pour une fois, l'engin n'est pas un gadget cinématographique. Son nom: Da Vinci™. Son coût: 1,3 million de dollars. Sa fonction: opérer à la place de l'homme.


Conçu au milieu des années 1980 par le département américain de la Défense pour «traiter» à distance des soldats qui se trouveraient sur un champ de bataille, ce système constitue, aujourd'hui encore, le nec plus ultra de la robotique chirurgicale. Il se compose d'une console dite «esclave» (le robot) munie de bras qui pratiquent trois légères incisions dans le corps du patient. D'un diamètre à peine plus grand que celui d'un stylo, elles permettent de passer des conduits (les trocarts) où sont insérés des instruments miniatures ainsi qu'une caméra endoscopique. En retrait, le chirurgien opère à l'aide de deux joysticks, assis devant une console «maître», avec un écran qui reconstitue en trois dimensions l'intérieur de la cavité. Intérêt de la technologie? D'abord, augmenter la précision: la machine améliore la vision du praticien, filtre les tremblements de ses mains ou démultiplie ses gestes pour plus de fluidité. Ensuite, diminuer les séquelles postopératoires du patient. Ainsi, dans le cas d'un pontage coronarien traditionnel, il faut ouvrir le thorax, dévier le flux sanguin et arrêter temporairement le cœur pour soigner l'artère déficiente. Un protocole bien maîtrisé mais aux lourdes conséquences: une large cicatrice (jusqu'à 30 centimètres) et une longue convalescence (de trois à douze mois).


«Certains patients insistent pour être opérés avec le robot. Mais ce type d'intervention est loin d'avoir atteint un niveau de fiabilité suffisant pour être généralisé au plus grand nombre», tempère le Pr Daniel Loisance. Chef du service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil), il dispose depuis l'an 2000 d'un des 200 Da Vinci™ que la société américaine Intuitive Surgical a déjà vendus. A cette époque, ce mandarin avait fait quelques envieux, tant son aventure était idyllique. Pionnier de la chirurgie endoscopique, il a, très tôt, vanté le potentiel des robots chirurgicaux. Un beau matin, le discours rodé, il s'épanche auprès de François Pinault, stigmatisant «le retard français dans un domaine qui va bouleverser l'art de la chirurgie». Il n'en faut pas plus pour convaincre l'industriel breton, qui lui répond tout de go: «Cet engin, je vous l'offre.»

«Le secteur de la haute couture»

Quatre ans plus tard, Daniel Loisance a chuté de son nuage. Depuis, il tonne, faute de pouvoir opérer parfaitement à cœur battant. Sa merveilleuse machine s'est révélée finalement peu douée pour effectuer des pontages coronariens à thorax fermé. «Les robots médicaux accomplissent des exploits difficilement reproductibles. Dans ces conditions, il faudra encore de longues années et de nombreuses études scientifiques pour en mesurer l'efficacité», estime le Dr Emmanuel Corbillon, de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), rédacteur d'un rapport sur le sujet. Un constat largement partagé, même par leurs plus fervents hérauts, comme le Pr Jacques Marescaux, fondateur de l'Institut européen de téléchirurgie (EITS) et auteur, en septembre 2001, d'une première: l'ablation d'une vésicule biliaire, confortablement attablé sur sa «console maître» située à New York, alors que sa patiente se trouvait alitée à... Strasbourg: «Aujourd'hui, le robot fascine; demain, il façonnera l'acte chirurgical. Mais, tant que le bénéfice apporté au patient n'aura pas été clairement établi, nous en resterons au stade de l'expérimentation.»


Quelques années après l'apparition des robots dans le monde médical, la révolution n'a donc pas eu lieu. Tout juste commencent-ils à y trouver leur place, conditionnée par leurs limites plutôt que par leurs prouesses. Le paysage se dessine lentement: les opérations les plus pointues, dites «de réparation» (comme un point de suture sur une artère coronaire de 2 millimètres), demeurent exceptionnelles. En revanche, l'ablation définitive d'un organe, une ponction cutanée ou encore le creusement d'un os sont plus faciles à mettre en œuvre. A ce titre, l'orthopédie apparaît comme l'une des spécialités où les robots se sont le mieux implantés. En mai 1998, le Dr François Aubart, de l'hôpital d'Eaubonne (Val-d'Oise), a effectué la première pose en France d'une prothèse de hanche avec un appareil nommé Caspar. En cinq ans, il a réalisé près de 220 opérations et n'a constaté aucune complication. «Le robot est utilisé pour creuser l'os, explique-t-il. De sa précision dépendent non seulement la réussite de l'intervention, mais surtout la longévité de l'articulation de remplacement.» Aujourd'hui, avec l'augmentation de l'espérance de vie, il n'est pas rare que ce type de dispositif, qu'il s'agisse du genou ou de la hanche, nécessite une ré-opération. Or, si la machine peut l'éviter, elle trouve, de fait, une justification économique... «que nous ne pourrons mesurer que dans une vingtaine d'années», ajoute François Aubart.


Parce que, au-delà de la technologie, l'un des principaux freins à la robotique en matière médicale est le «retour sur investissement». Comment trouver des entreprises prêtes à fabriquer et à commercialiser des outils destinés à de tels micromarchés? Le cas de la chirurgie des grands brûlés est exemplaire. «Notre machine travaille dans le secteur de la haute couture et vise le sur-mesure», observe en souriant Luc Téot, chirurgien à l'hôpital Lapeyronie, à Montpellier. Certains de ses patients ont besoin, en urgence, d'une large greffe de peau (jusqu'à 50 centimètres). Un geste difficile à réaliser, qui ne peut souffrir le moindre raté. D'où l'idée de Dermarob, un robot-rasoir bourré de capteurs, conçu pour effectuer automatiquement des prélèvements de greffons avec une précision de l'ordre de 0,2 millimètre d'épaisseur! Mais, au grand dam de son concepteur, l'engin, qui a fait ses preuves sur une cinquantaine de cochons, pourrait rester longtemps encore à l'état de prototype avant d'être homologué, confronté à un manque de débouchés. En France, une vingtaine de centres seulement seraient susceptibles d'être intéressés par Dermarob.


Moins sophistiqués que leurs frères «réparateurs», les robots dits «de diagnostic» commencent, eux, à se multiplier au sein des établissements hospitaliers. Ici, Hippocrate, un bijou à 150 000 euros, largement testé par le groupe hospitalier Broussais (Paris), capable de balader une sonde avec une précision inégalée pour inspecter les artères coronaires; là, MKM, utilisé en neurochirurgie, au Val-de-Grâce, pour diriger le praticien vers sa cible. Ces systèmes, produits à quelques exemplaires, pèchent surtout par leur encombrement et leur coût. L'avenir immédiat privilégiera alors les machines les plus légères, comme Otelo, développé par le Laboratoire Vision & Robotique (LVR) à Bourges (université d'Orléans) et par le CHU de Tours. «L'échographie reste l'examen d'urgence le plus pratiqué pour connaître rapidement l'état des principaux organes mous [foie, rein, cœur, muscles, etc.]», rappelle le Pr Philippe Arbeille, père du petit robot. Reste que semblable investigation nécessite la présence d'un spécialiste, pas toujours en poste dans de petites structures. Otelo permet ainsi d'ausculter à distance un patient situé dans un hôpital local, alors que l'échographiste effectue sa garde dans le CHU le plus proche. De son pupitre, muni d'un simple levier de commande et d'un écran de visioconférence, il «délocalise» littéralement ses mains en manipulant cette sonde robotisée, simplement posée sur le ventre du malade. Via une ligne téléphonique améliorée (Numéris), le praticien reçoit une image d'une qualité suffisante pour effectuer un premier diagnostic.

Un véritable «GPS du cœur»

Avec un prix raisonnable (35 000 euros) et après des tests significatifs sur un échantillon d'environ 300 personnes, ce système devrait être commercialisé en fin d'année par Sinters, l'une des rares sociétés françaises à s'intéresser à la robotique médicale. «Ce serait l'aboutissement de huit années de recherche et d'un véritable parcours du combattant», lâche Pierre Vieyres, responsable du projet au LVR. Otelo a ainsi été expérimenté, à partir de Tours, dans des conditions extrêmes: à Katmandou (Népal), sur le Sirocco, un navire de la Marine nationale, ou encore sur l'île de Chypre. Et, dans le courant de 2005, il devrait même gagner le firmament et rejoindre les astronautes à bord de la Station spatiale internationale (ISS).


Désormais, la plupart des spécialistes ont adopté un discours plus mesuré sur l'état actuel de la robotique médicale. «Sans doute l'a-t-on, dans un premier temps, quelque peu surestimée», admet Etienne Dombre, directeur du Laboratoire d'informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm, CNRS), qui concentre ses recherches sur l'élaboration de nouveaux micro-instruments plus habiles, «indispensables pour que les machines s'imposent». Car il existe une condition sine qua non: améliorer la collaboration entre chirurgiens et informaticiens. «Comment faire pour qu'un robot simule, par exemple, le toucher d'un organe, une sensation que seul le praticien peut connaître?» s'interroge Mourad Karouia, roboticien du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris). Il faut, enfin, tisser des liens avec les autres industries, comme le nucléaire, où la robotique s'est préalablement développée. «Dans le traitement des matières radioactives par l'intermédiaire de bras télémanipulateurs, nous travaillons depuis une vingtaine d'années sur le concept de téléopération virtuelle à retour d'effort», explique Rodolphe Gelin, de la direction de la recherche technologique au Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Concrètement, et appliqué au domaine médical, cet outil servirait à guider (pousser ou attirer) la main du chirurgien pour lui éviter d'endommager un élément vital.


Au-delà de la mécanique, ce sont bien les technologies numériques, c'est-à-dire la capacité des ingénieurs à développer des logiciels et des algorithmes élaborés pour adjoindre de nouvelles fonctions aux robots, qui décideront de la place de ces derniers au sein des hôpitaux. Déjà, par le couplage de différents types d'imagerie (angiographie, scanner, etc.), il est possible d'obtenir un meilleur rendu du volume d'un organe. «Comme une empreinte digitale, une artère coronaire est unique. Sa reconstitution en trois dimensions aidera le chirurgien à intervenir de façon optimale: après avoir modélisé le geste idéal, il peut le simuler à loisir», explique Eve Coste-Manière, chercheur à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), qui développe ces logiciels de «réalité augmentée».


Mieux encore, le jour de l'opération, le praticien pourra utiliser la séquence vidéo parfaite, issue de son entraînement, en la superposant sur son écran de travail. Ce véritable «GPS du cœur» lui indiquera la bonne route à suivre. A terme, l'informatique devrait permettre une automatisation complète des interventions les plus délicates. Jusqu'à laisser le robot prendre totalement la place du chirurgien dans les blocs opératoires? «Tout peut être envisagé, mais il ne faut pas aller trop vite en besogne, modère avec sagesse le Pr Iradj Gandjbakhch, chef du service cardio-vasculaire de la Pitié-Salpêtrière. Si une analogie peut être faite avec l'aéronautique, nous n'en sommes qu'au temps des pionniers.»



Post-scriptum :
Du 23 au 26 mars se tient à Paris ISR 2004, le plus important symposium international de robotique.
Objectif de cette réunion: célébrer les 770.000 à 1.050.000 robots qui peuplent le monde industriel.


Source : L'Express du 22/03/2004. Article de Bruno D. Cot.

A lire, ouvrage paru récemment :
"CONTROVERSIES AND UPDATES IN VASCULAR AND CARDIAC SURGERY":

Editors:
Jean-Pierre Becquemin, Yves S Alimi, Jacques Watelet,
Daniel Loisance
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Edizioni Minerva Medica, 2004, Torino (Italy). Ce livre est en anglais.

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